Par Me Lauriane Massie, avocate, avec la collaboration de Me Josée Verreault, avocate, Groupe Trivium – Avocats, notaires, conseils

Il n’est pas exagéré d’affirmer que l’intelligence artificielle est l’un des sujets de l’heure depuis déjà quelques années et qu’elle ne cessera pas de l’être de sitôt. L’avancement récent des technologies de l’IA est tout simplement impressionnant, parfois même jusqu’à en être étourdissant. L’IA peut maintenant nous assister dans une multitude de domaines de multiples façons : rédaction, traduction, optimisation, simulation, recherche… les possibilités sont nombreuses et continuent d’évoluer et de s’améliorer. L’ingénierie et le domaine municipal ne font pas exception aux milieux qui peuvent bénéficier d’une intégration responsable et d’une utilisation informée et prudente de l’intelligence artificielle.

De nombreux organismes municipaux ont déjà intégré l’IA dans leur fonctionnement, et plusieurs organisations travaillent sur des outils susceptibles de favoriser une gestion efficace des ressources publiques. Parmi ces nombreux exemples, nous notons le laboratoire de recherche HC3 ayant mis sur pied une base de données de 15 000 bassins versants afin de nourrir un programme IA dans l’objectif d’aider à prévenir plus facilement les risques d’inondations1, la Ville de Sainte-Julie, qui a établi un inventaire informatisé et intelligent des arbres sur son territoire et qui répertorie automatiquement, par télédétection, l’essence, la taille et la superficie d’ombre de chaque arbre, le tout notamment dans un but de préservation de son patrimoine arboricole2, et la Ville de Longueuil, ayant intégré une gestion intelligente de l’abrasif basée sur les statistiques de précipitations et de température. Ce dernier exemple a permis à la Ville de réduire considérablement (42 %) la quantité utilisée de sels de voirie tout en maintenant la sécurité des routes et des voies piétonnes3.

Risques pour la propriété intellectuelle

L’IA comporte toutefois également son lot de risques et il est recommandé d’être adéquatement informé et équipé afin de réduire ceux-ci au maximum. Il faut savoir avant tout que l’IA, particulièrement l’IA générative, fonctionne par apprentissage profond, c’est-à-dire qu’elle se nourrit des données qui lui sont soumises afin de bonifier ses « connaissances » et générer des réponses toujours plus précises et adaptées. Ce faisant, elle peut enregistrer et garder en mémoire ce qui lui est soumis pour nourrir son apprentissage. Par exemple, pour que l’IA soit en mesure de reconnaître une pomme dans une image, des milliers d’images contenant une pomme lui seront soumises et l’IA conservera celles-ci dans sa mémoire. Dans cette même logique, tout type d’information soumis à l’IA peut servir à améliorer ses capacités de « raisonnement » et, en conséquence, ses futures réponses

Risques pour la confidentialité des informations

En plus des enjeux de propriété intellectuelle et d’exactitude des réponses générées par l’IA, la technologie d’apprentissage profond pose aussi notamment un risque pour la confidentialité des informations qui lui sont soumises, car, comme mentionné, une information donnée à l’IA par un.e utilisateur.trice a le potentiel de servir ensuite de matériel pour répondre à la question d’un.e autre utilisateur.trice.

Le fait que plusieurs gestionnaires de programmes d’intelligence artificielle, et par le fait même les serveurs utilisés, se situent à l’extérieur du Canada emporte également une part de risque relativement au traitement et à la protection des informations qui sont fournies à l’IA. En effet, la législation et les normes de sécurité varient selon le pays et n’offriront pas nécessairement les mêmes standards de confidentialité que l’encadrement que nous trouvons au Québec et au Canada.

Ainsi, les informations qui circulent par d’autres pays et qui sont enregistrées sur des serveurs à l’étranger ne recevront pas toujours le même traitement que les informations qui restent au pays, et encore moins que les informations qui sont conservées dans des systèmes en circuit fermé, c’est-à-dire dont les données demeurent inaccessibles au public. De même, les systèmes d’IA ne sont pas complètement à l’abri des cyberattaques, peu importe leur niveau de sophistication. Des failles de sécurité sont toujours possibles et il va sans dire que de telles bases de données sont une cible attrayante pour les cybercriminel.les.

 

Risques pour la protection des renseignements personnels et confidentiels

En ce qui concerne la protection des renseignements personnels et confidentiels au niveau individuel, mentionnons d’abord que les ingénieur.es sont soumis à des obligations déontologiques en matière de protection des informations de nature confidentielle. Les articles 3.06.01 et suivants du Code de déontologie des ingénieurs4, font état de ces obligations. Ce premier article stipule ceci :

« L’ingénieur doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle obtenu dans l’exercice de sa profession. », ce qui reprend d’ailleurs presque mot pour mot ce qui est énoncé au premier alinéa de l’article 60.4 du Code des professions5, article se trouvant dans la section des dispositions applicables à toutes les professions. Les informations confidentielles qui sont visées par le Code de déontologie rassemblent notamment les informations personnelles de la clientèle et les données confidentielles émanant de l’employeur. En effet, le Code de déontologie des ingénieurs précise à son article 1.02 qu’« à moins que le contexte n’indique un sens différent, le mot « client » signifie celui qui bénéficie des services professionnels d’un ingénieur, y compris un employeur », et l’article 3.06.02 mentionne que l’ingénieur.e ne peut être relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son ou sa client.e ou lorsque la loi l’ordonne. Aussi, vu les risques mentionnés plus tôt, un.e ingénieur.e doit se montrer prudent lors de l’utilisation de l’IA afin de ne pas lui fournir d’informations confidentielles qu’elle serait ensuite susceptible de mémoriser et de reproduire en répondant à la question d’un.e utilisateur.trice.

Consulter la revue complète

1 École de technologie supérieure. Les mille et une facettes de l’intelligence artificielle en ingénierie, publié le 5 juin 2023, https://www.etsmtl.ca/actualites/mille-et-une-facettes-intelligence-artificielle-ingenierie.
2 Union des municipalités du Québec. Les municipalités innovent grâce à l’intelligence artificielle, publié le 18 juillet 2024, https://umq.qc.ca/publication/municipalites-innovent-grace-intelligence-artificielle/.
3 Idem.
4 RLRQ c. I-9, r. 6.
5 RLRQ c. C-26.