Par Ariane Mailhot, ing., chargée de projet infrastructures et mobilité, Société de transport de Sherbrooke

Et Jade Giroux Larkin, directrice marketing et communication, société de transport de Sherbrooke

Dans un contexte où le développement des municipalités du Québec évolue rapidement, il est essentiel de réaliser une planification concertée de l’aménagement du territoire et du transport en accordant une place de choix au transport en commun. La ville de Sherbrooke est en pleine transformation, ce qui pose des défis et crée des occasions favorables liées à la mobilité urbaine. Une vision stratégique solide et commune entre la Ville et la Société de transport permet de guider les perspectives de développement, tout en reconnaissant les avantages du transport en commun. En effet, un système de transport en commun efficace contribue non seulement à réduire les embouteillages et les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi à améliorer la qualité de vie de la population.

Alors que la dépendance à l’automobile est bien ancrée, l’ajout de nouveaux services de transport en commun et d’infrastructures adaptées est fondamental pour stimuler un transfert modal. Cela inclut des passages plus fréquents et une meilleure ponctualité, éléments souvent mentionnés à la faveur de l’« auto solo ». En offrant une alternative fiable et avantageuse, il est possible d’encourager davantage de personnes à opter pour les transports collectifs. Alors, comment faire prospérer nos services de transport collectif dans des villes bâties pour l’automobile ?

Aménager au bénéfice de la mobilité durable

Tout le monde se déplace à pied à un moment ou à un autre. C’est particuliè- rement vrai dans le cas des personnes qui utilisent le transport en commun, qui se rendent aux arrêts et prennent des correspondances. Accorder une place de choix aux piéton·nes dans l’aménagement de nos villes est essentiel pour favoriser une mobilité durable. La marche, en plus d’être un mode de transport à part entière, donne accès à une foule de services lorsque les quartiers sont aménagés à l’échelle de l’individu à pied ou à vélo. De plus, puisque le transport en commun complémente avantageusement les modes de transport actifs, les retombées positives des aménagements piétons sont décuplées.

Pour qu’un parcours piéton soit agréable, on doit minimalement s’y sentir en sécurité. Or, dans de nombreuses villes au Québec, tout comme à Sherbrooke, on trouve de nombreuses rues sans trottoir et peu éclairées. Ces aménagements constituent un enjeu de taille, puisqu’ils sont orientés sur l’usage de l’automobile. Même en offrant un service de transport en commun fréquent et efficace sur ces artères, l’accès difficile aux arrêts demeure un obstacle. Le trottoir est donc un outil nécessaire pour favoriser la mobilité active et durable, tant sur le plan de la sécurité que de l’accessibilité. D’autres outils tels que la sécurisation des intersections, un déneigement efficace, un éclairage adéquat, l’ajout de mobilier urbain et des trajets piétonniers réduisant les détours contribuent aussi à changer la dynamique des artères orientées sur le « tout à l’auto ». Pour faire prospérer nos transports en commun, il faut commencer par aménager nos quartiers à l’échelle des personnes qui se déplacent à pied.

S’adapter aux réalités démographiques du territoire

La notion de ville accessible en transport en commun repose sur deux dimensions fondamentales et complémentaires : la population et ses déplacements sur le territoire. Sherbrooke, par exemple, se compose d’une population diversifiée, comprenant des personnes de différents âges, revenus et occupations. Comprendre le lien étroit entre le territoire et les gens qui s’y déplacent permet aux sociétés de transport de déployer stratégiquement leurs services de manière à favoriser l’accès au transport en commun, tout en optimisant les ressources. En effet, la prise en compte des spécificités de chaque secteur permet de mieux répondre aux besoins des citoyen·nes et d’optimiser l’efficacité du réseau de transport.

Établir la densité des déplacements de chaque secteur permet d’adapter l’offre de transport en commun en conséquence. C’est la stratégie qu’a utilisée la Société de transport de Sherbrooke pour établir ses normes de service. Elle a divisé le territoire en quatre zones de déplacements, représentant respectivement 50, 30, 15 et 5 % des déplacements motorisés totaux réalisés. Soulignons qu’à Sherbrooke, la zone 1 représente 50 % des déplacements pour seulement 4 % de la superficie du territoire  ; cette zone présente donc des conditions optimales pour le transport en commun. À l’inverse, la zone 4 représente 5 % des déplacements pour 76 % de la superficie du territoire ; cette zone présente donc des conditions difficiles pour le transport en commun. Les critères de conception du réseau de la Société de transport de Sherbrooke sont établis en fonction des zones desservies. Par exemple, les quartiers centraux et mixtes (zone 1) bénéficient de lignes d’autobus fréquentes vers les grands générateurs de déplacements de la ville. Les quartiers résidentiels de densité moyenne et les parcs industriels (zones 2 et 3) bénéficient plutôt de lignes menant à un important point de correspondance et qui donne ensuite accès à un large éventail de destinations. Enfin, les zones rurales ou résidentielles à plus faible densité (zone 4) bénéficient de services de transport à la demande,un modèle optimisant davantage les ressources dans les secteurs où la densité des déplacements est plus faible. Pour faire prospérer notre offre de transport en commun, il faut reconnaître le potentiel de chaque secteur et moduler le service en fonction des réalités du territoire.

Intégrer le transport en commun dans la planification du territoire

Plusieurs secteurs de nos villes sont moins favorables à une desserte optimale en transport en commun. On n’a qu’à penser aux zones où la concentration de déplacements est faible, aux rues en dédales Plusieurs secteurs de nos villes sont moins favorables à une desserte optimale en transport en commun. On n’a qu’à penser aux zones où la concentration de déplacements est faible, aux rues en dédales ou aux zones isolées. Or, le transport en commun est un service municipal et doit constituer une réelle option de déplacement pour la population. Adoucir les contraintes de nos quartiers existants est un travail de patience ; il est donc primordial d’intégrer le transport en commun dans la planification du développement du territoire afin de ne pas reproduire les erreurs du passé. Les projets de développement et de redéveloppement immobiliers sont des occasions en or de léguer des milieux de vie où la mobilité durable est accessible et attractive. Les recettes à succès sont connues et ne nécessitent pas de grands investissements lorsqu’elles sont appliquées dès le départ. 

Les Municipalités ont les outils pour encadrer les projets afin que la desserte en transport en commun y soit efficace, voire structurante. Une démarche de planification concertée en matière d’amé- nagement et de transport peut permettre de consolider des axes de transport existants de manière à les rendre encore plus dynamiques et attractifs. En impliquant les sociétés de transport en amont de la planification des projets immobiliers, les Municipalités s’assurent d’offrir un service essentiel. Pour faire prospérer nos services de transport en commun, il faut cesser de construire nos villes pour l’automobile, mais plutôt chercher à offrir à chaque personne habitant le territoire l’accès à un éventail d’options de transport.

La transition vers une mobilité plus durable est un incontournable pour notre société. Or, même si l’on reconnaît cette prémisse, le changement d’habitudes est difficile à réaliser. Le transport en commun doit être très attractif pour concurrencer les avantages alléchants de l’automobile, et ce, particulièrement dans les villes où elle est encore reine. La Société de transport de Sherbrooke a fait l’audacieux pari d’augmenter son offre de service année après année, et ce, même durant la pandémie. En 2024, non seulement on a retrouvé l’achalandage prépandémie, mais il a été dépassé grâce à des hausses rarement observées. Ce qui se passe présentement à Sherbrooke démontre toute la pertinence d’investir dans des solutions de transport durables et collectives. Il n’y aura jamais de meilleur moment qu’aujourd’hui pour prendre le virage.

 

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