Par Anne-Sophie Doré Conseillère juridique en droit de l’environnement Service-conseil en aménagement du territoire UMQ

Il est presque devenu impossible de réfléchir à l’urbanisme et l’aménagement du territoire sans penser densification et consolidation des milieux de vie. Bien plus qu’un effet de mode, la densification se concrétise comme un objectif politique et légal comme en témoigne la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT) adoptée par le gouvernement du Québec en 2022 et les nouvelles orientations gouvernementales en aménagement du territoire (OGAT).

Ces OGAT privilégient la consolidation des milieux de vie existants et une planification intégrée des transports, en mettant l’accent sur le redéveloppement et la requalification des espaces disponibles, tout en limitant fortement les possibilités de construire hors des périmètres urbains. La densification à l’intérieur de ces périmètres devra également prendre en compte la conservation des milieux naturels d’intérêt et la résilience des écosystèmes, balisant ainsi les possibilités de développement dans ces milieux.

De nouvelles obligations municipales de planification du territoire 

L’entrée en vigueur des nouvelles OGAT cet automne entraînera une période de révision des outils de planification du territoire des municipalités locales et régionales. Cet important chantier à venir résulte du principe de conformité prévu à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) qui permet d’assurer la concordance des objectifs et des projets des divers paliers de décision à travers les différents outils d’aménagement du territoire et d’urbanisme prévus par la loi.

Ainsi, les communautés métropolitaines réviseront leur plan métropolitain d’aménagement et de développement, les municipalités régionales de comté (MRC) leur schéma d’aménagement et de développement, et les municipalités locales leurs plans et règlements d’urbanisme. L’ensemble de ces changements devra intégrer les objectifs de densification, qui varieront selon les réalités régionales. Il n’existe pas de réponse universelle sur ce qui constitue la densité idéale pour toutes les municipalités.

Le succès d’une telle démarche repose avant tout sur une compréhension de ce qu’implique le concept de densification. Celui-ci vise à optimiser l’occupation du territoire pour rentabiliser les infrastructures et contribuer à la qualité des milieux de vie. Cela implique de réfléchir notamment au cadre bâti, à l’intégration architecturale et aux enjeux connexes tels que la mobilité active, la disponibilité et la qualité des espaces publics, et la gestion des matières résiduelles.

Densification urbaine et règlements d’urbanisme

Les orientations en matière de densification se matérialisent à l’intérieur des règlements d’urbanisme. Ce sont ces règlements qui permettent de moduler la consolidation des milieux à différentes échelles. Il convient donc de les utiliser de manière complémentaire dans le cadre d’une stratégie globale. Par exemple, les municipalités peuvent favoriser et moduler la densification de plein droit en ajustant certains paramètres des règlements de zonage et de lotissement, tels que le nombre maximal de logements par bâtiment, les marges de recul, la proportion du terrain constructible, les hauteurs des bâtiments ou encore les exigences de stationnement. Dans des secteurs destinés à une occupation plus intensive, des outils discrétionnaires comme les plans d’aménagement d’ensemble (PAE), les projets particuliers de construction, de modification ou d’occupation d’un immeuble (PPCMOI) et les plans particuliers d’urbanisme (PPU) offrent une plus grande flexibilité et permettent d’atteindre des cibles de densification plus élevées.

Des outils récents de la LAU, tels que le règlement relatif au zonage incitatif et le règlement relatif au zonage différencié, ainsi que l’autorisation des unités d’habitation accessoire, soutiennent également la densification à l’échelle locale. Ces outils montrent que la densification n’est pas une tendance passagère, mais un véritable changement de paradigme à intégrer dans la gestion des actifs et la planification municipale.

Ainsi, la densification peut se réaliser de plusieurs façons : ajouter un étage, implanter une unité d’habitation accessoire ou construire de nouveaux bâtiments en respectant les volumétries existantes. Si des infrastructures de transport structurantes sont à proximité, il est possible de doubler les hauteurs maximales autorisées. La requalification de sites vacants ou dévitalisés offre également des opportunités de densification avec un fort potentiel, notamment par la création de quartiers complets.

Bien connaître son territoire

Ces différentes manières de concrétiser des objectifs de densification impliquent de bien connaître son territoire et ses multiples composantes : cadre bâti, usages, parcs et espaces verts, réseaux d’aqueduc et d’égouts, réseau routier, réseau cyclable, réseau électrique, etc. Documenter ces composantes de manière quantitative et qualitative permet d’avoir une vue d’ensemble de leur disponibilité et leur état actuel en vue d’identifier les potentiels de développement, comme les secteurs à consolider ou à requalifier.

L’arrivée des nouvelles OGAT nous porte à réfléchir collectivement à nos stratégies de développement. Cette optimisation du territoire va de soi si l’on souhaite atteindre nos cibles de densification. Le modèle traditionnel d’étalement urbain n’est plus viable dans le contexte de la crise climatique et des capacités limitées des municipalités à fournir et entretenir les infrastructures urbaines et les services publics. Cette nouvelle réalité nous amène non seulement à revoir les pratiques urbanistiques, mais également à bonifier les stratégies de gestion des actifs et de planification des infrastructures.

Il ne suffit toutefois pas de prolonger nos réseaux ou d’augmenter la capacité de nos infrastructures existantes. Au contraire, c’est précisément cet étalement et l’augmentation du nombre d’infrastructures à entretenir et de quartiers à desservir qui continuent à accroître les coûts pour les municipalités, d’où la nécessité et la pertinence de consolider les milieux existants, dans une optique d’efficience des infrastructures existantes. 

En cohérence avec la gestion des actifs en infrastructures urbaines

Or, les décisions urbanistiques doivent être cohérentes avec les implications à long terme de la construction et de l’entretien des infrastructures et des sources de financement. La densité du développement n’est pas le principal facteur de coût des infrastructures. Une plus grande densité peut même entraîner des économies d’échelle. Cependant, les investissements majeurs dans la capacité des infrastructures sont souvent réalisés des années avant le développement des terrains et ces économies sont parfois négligées au profit d’interventions ponctuelles. Pour éviter un tel écueil, un suivi des infrastructures et des actifs municipaux est nécessaire une fois les processus de densification enclenchés. Entretenir, améliorer les infrastructures pour répondre à de nouveaux besoins ou augmenter leur résilience face à de nouveaux aléas requiert vigilance et adaptabilité constantes.

Cette approche proactive permet de s’assurer que les infrastructures sont adaptées aux exigences futures et contribuent à la durabilité et à la qualité de vie dans les quartiers densifiés. En somme, les récents développements en matière d’aménagement et d’urbanisme se présentent comme des opportunités pour impliquer l’ensemble des professionnels municipaux, notamment les urbanistes et les ingénieurs, dans la mise en œuvre de stratégies intégrées. Pour que la densification permette aux populations de bénéficier de ses nombreuses retombées positives, elle doit être réfléchie et guidée par une vision inclusive. S’il n’existe pas de recette miracle pour densifier nos milieu.

En somme, les récents développements en matière d’aménagement et d’urbanisme se présentent comme des opportunités pour impliquer l’ensemble des professionnels municipaux, notamment les urbanistes et les ingénieurs, dans la mise en œuvre de stratégies intégrées. Pour que la densification permette aux populations de bénéficier de ses nombreuses retombées positives, elle doit être réfléchie et guidée par une vision inclusive. S’il n’existe pas de recette miracle pour densifier nos milieux de vie, il n’en demeure pas moins que la collaboration de tous par le décloisonnement des équipes municipales et l’intégration de l’urbanisme à l’ingénierie sont des leviers puissants pour bâtir des communautés résilientes et durables.

 

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